Lecture : le grand krach de l’attention

couverture du livre « Le grand krach de l'attention » de Tim Hwang aux éditions C&F

On a lu pour vous le livre “Le grand krach de l’attention”, La publicité, une bombe au cœur de l’Internet, de Tim Hwang aux éditions C&F.

Tim Hwang est présenté en quatrième de couverture comme écrivain, avocat et chercheur sur l’impact politique des technologies. Il a été responsable des politiques publiques de l’intelligence artificielle chez Google. Il s’intéresse à l’avenir de l’économie de l’attention et à la géopolitique du numérique.

Résumé commenté du livre

L’auteur décortique les mécanismes liés à la publicité programmatique. Autrement dit, tout ce qui permet de collecter des données sur les internautes, savoir les ordonner et savoir les regrouper pour mieux vendre ces informations, massivement et automatiquement, aux annonceurs lorsque l’on est agence de publicité ou structure intermédiaire comme Google ou Facebook.

La thèse principale de ce livre repose sur une analyse avancée de l’état du marche de la publicité programmatique et montre qu’il y a beaucoup de similitudes avec le marché des subprimes juste avant la crise de 2008. L’auteur dénonce, entre autre, une opacité importante et des acteurs pris dans des injonctions paradoxales de rentabilité et “d’honnêteté” quant à la valeur réelle à afficher, de ce qu’ils prétendent vendre. La thèse est étayée et la démonstration plutôt convaincante.

On notera ainsi que Procter et Gamble [multinationale américaine spécialisée dans les biens de consommation courante], en 2017, s’est interrogé sur la pertinence de la publicité programmatique devant la perception d’un système obscur et illisible. Ils ont diminué de manière importante leurs dépenses dans la publicité programmatique pour réinvestir les canaux plus traditionnels (télévision & radio). Conséquence, ils ont réduit leurs dépenses totales tout en augmentant leur audience de 10 % !

Les bloqueurs de pubs sont évoqués et lorsque l’on apprend qu’en 2016, 615 millions d’appareils dans le monde bloquaient activement les publicités, ça montre à quel point les utilisateurs et les utilisatrices d’internet sont saturé·e·s et prêt·e·s à agir pour bloquer les pubs. Cela semble effectivement légitime de vouloir se réapproprier une attention qui nous est volée par des matraquages et des profilages insidieux (et tant pis pour le manque à gagner des structures en surchauffe qui profitent de cela : voir plus bas les “morceaux choisis pour vous”).

On peut éventuellement s’interroger sur une petite bizarrerie de l’auteur à la fin du livre : il fait un exercice de pensée et essaie d’imaginer un réseau social qui fonctionnerait sans publicités. Il invente ainsi, pour la nécessité de sa présentation, le SSM 3000 mais passe donc sous silence le Fédiverse (Mastodon, Peertube, etc.) (!)

Est-ce une méconnaissance de l’auteur (ce qui interroge sur sa capacité à regarder Internet comme autre chose qu’un marché et à croire en un monde ‘dépublicisé’ ; certains passages appuient cette hypothèse) ou est-ce volontaire de sa part (et le cas échéant, on se pose la question de la raison profonde de cette absence) ?

Pour conclure, la lecture de ce livre révèle à quel point la publicité sur internet est de plus en plus “en roue libre” et déconnectée de la réalité. Elle continue à gonfler une bulle qui ne tardera pas éclater si, comme le préconise l’auteur, rien n’est fait en terme de régulation pour la dégonfler plus en douceur. Contrairement à Tim Hwang, nous pensons qu’un internet sans publicité peut exister et encourageons son développement et son usage. Le Fédiverse en est un bel exemple et montre toute sa pertinence au moment où un milliardaire rachète Twitter sous prétexte de défendre la liberté d’expression ; là où cette pseudo-liberté (qui n’est autre que de l’entropie d’expression) va générer plus de bénéfices publicitaires par la haine réactive, le clash et la provocation.

Quelques morceaux choisis pour vous

  • « Larry Page et Sergey Brin, cofondateurs de Google , s’inquiétaient des incitations perverses de la publicité dans leur article fondateur de 1998 sur l’algorithme à la base de la recherche web : ” Les objectifs du modèle économique de la publicité ne correspondent pas systématiquement à une offre de qualité pour les utilisateurs de la recherche en ligne. […] Nous pensons que les moteurs de recherche financés par la publicité seront intrinsèquement biaisés en faveur des annonceurs et répondront moins bien aux besoin des consommateurs “ » page 16
  • « Ce ne sont pas des “publicistes” qui ont été recrutés sur les nouvelles plateformes qui ont dessiné la logique de publicité programmatique mais des financiers. » & « Il est significatif que la Bourse ait servi de modèle aux entrepreneurs qui ont conçu les plateformes constituant aujourd’hui l’infrastructure de la publicité programmatique » page 50
  • « En 2014, Google publie un rapport suggérant que 56,1% de toutes les annonces diffusées sur internet ne sont jamais vues par un humain » page 101
  • « En 2016, 615 millions d’appareils dans le monde bloquaient activement les publicités » Page 102
  • « L’impact économique total du blocage des publicités dans le monde est immense. Adobe estime en 2015 que 21,8 milliards de dollars de recettes publicitaires mondiales sont perdus chaque année à cause des bloqueurs de publicités » Page 103
  • « Une étude menée par Adobe en 2018 conclut qu’environ 28% du trafic sur les sites web montre “des signes d’activité non humaine”, précisant qu’ils sont émis par des scripts automatisés ou des fermes à clics » Page 106
  • « L’opacité favorise les mauvais comportements d’acteurs aux intérêts contradictoires et crée de l’incertitude quant à la fiabilité des informations. De ce fait, les attentes au sein d’un marché peuvent s’écarter fortement de la réalité avant d’y être brusquement ramenées. Autrement dit, la transparence favorise la stabilité du marché » Page 164
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